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Réforme constitutionnelle en Russie : Poutine, président à vie ?

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Mi-janvier, Vladimir Poutine a surpris son pays et la communauté internationale en proposant une réforme constitutionnelle d’ampleur. Si les changements étaient préparés de longue date, ils constituent un bouleversement politique dans un pays où la Constitution n’avait été que très peu modifiée depuis son instauration en 1993. Plusieurs stratégies sous-tendent la décision de Poutine, et les spéculations sont nombreuses quant à son futur rôle au terme de son mandat en 2024.

Le gouvernement de Dmitri Medvedev a démissionné pour faciliter la réforme constitutionnelle de Vladimir Poutine.
Le gouvernement de Dmitri Medvedev a démissionné pour faciliter la réforme constitutionnelle de Vladimir Poutine.

Lors de son traditionnel discours annuel sur l’état de la Nation devant l’Assemblée fédérale de la Russie le mercredi 15 janvier, Vladimir Poutine a annoncé une réforme constitutionnelle, marquant le début d’une période de transition qui s’achèvera en 2024. Elle a pour but de préparer la succession de Vladimir Poutine au pouvoir. En effet, le président russe ne pourra pas se représenter après son 4e mandat en 2024. Si une telle réforme n’est pas nécessairement surprenante – Poutine émettait cette option en 2007 déjà – la rapidité de sa mise en œuvre a pris de court la classe politique russe et la communauté internationale.

C’est d’abord la démission du Premier ministre historique de Vladimir Poutine, Dmitri Medvedev, et de son gouvernement qui a surpris. “Nous, en tant que gouvernement de la Fédération de Russie devons donner au président de notre pays les moyens de prendre toutes les mesures qui s’imposent. C’est pour cela […] que le gouvernement dans son ensemble donne sa démission”, a ainsi déclaré le désormais ex-Premier ministre. A peine cinq jours plus tard, Vladimir Poutine présentait sa série d’amendements constitutionnels à la Douma.

Plus de pouvoir à la Douma, mais une République présidentielle forte

Sept amendements à la Constitution ont ainsi été proposés. La Douma pourra désormais nommer le Premier ministre, puis les ministres sur recommandation du chef du gouvernement. Alors qu’il nommait le Premier ministre, le président ne pourra pas rejeter les candidats approuvés par le Parlement. Cette décision renforcerait le rôle de la Douma, avec un transfert de pouvoir majeur de l’exécutif vers le pouvoir législatif. L’obtention d’une majorité parlementaire deviendrait essentielle sous ce régime pour la formation du gouvernement. Le chef du parti majoritaire aurait un rôle accru, ayant alors vocation à devenir le président de la Douma. Alors que les deux chambres du Parlement sont dominées par des forces pro-Poutine, le renforcement du pouvoir de la Douma permettra au parti Russie unie d’asseoir son pouvoir.

Vladimir Poutine a cependant affirmé que la Russie resterait une “République présidentielle forte”. Selon lui, la Russie « ne peut pas avancer correctement et même exister durablement en tant que république parlementaire« . En ce sens, le président russe fixera les priorités et tâches du gouvernement. Il conservera également la possibilité de limoger le Premier ministre et le gouvernement. Il demeurera le chef des forces armées et de l’ensemble du système d’application des lois.

Troisièmement, le président russe veut rendre plus strictes les conditions de candidature aux élections présidentielles. Les mandats présidentiels seront limités à deux, consécutifs ou non. Tout candidat devra avoir eu la résidence permanente en Russie pendant au moins 25 ans, sans citoyenneté étrangère ou permis de séjour. De même, les gouverneurs, parlementaires, membres du gouvernement et juges ne seront plus autorisés à posséder une double nationalité ou un permis de séjour à l’étranger. Poutine souhaite aussi renforcer les pouvoirs des gouverneurs régionaux dans la prise de décision fédérale.

Le renversement des normes internationales

Poutine a suggéré une modification constitutionnelle pour “sceller les principes d’un système unifié de pouvoir public”. Il veut ici élargir l’autorité des collectivités locales. Il souhaite aussi inscrire dans la Constitution le salaire minimum et l’indexation des pensions de retraite sur l’inflation. Enfin, le Kremlin veut accorder au Conseil de la Fédération – la chambre législative supérieure en Russie, l’équivalent du Sénat – la possibilité de révoquer les juges des Cours constitutionnelle et suprême en cas de faute, sur proposition de Président de la Fédération. En Russie, cette mesure inquiète l’opposition : proposée pour renforcer l’État de droit, elle ouvre cependant la voie à des abus de la part des politiciens si des garde-fous ne sont pas mis en place.

Vladimir Poutine veut enfin transformer la hiérarchie des normes en considérant la primauté de la législation nationale sur le droit international. “Il est temps d’apporter à la loi suprême du pays certaines modifications qui garantiront directement la primauté de la Constitution russe dans notre espace juridique. Cela veut dire que les dispositions de la législation internationale et des traités, ainsi que les décisions des organes internationaux, peuvent s’appliquer sur le territoire de la Russie uniquement dans la mesure où elles n’entraînent pas de restriction des droits et libertés de l’homme et du citoyen, et ne contredisent pas notre Constitution”, a-t-il déclaré. La Russie avait déjà adopté une loi en ce sens en décembre 2015. Cependant, une telle mesure serait contraire au droit international.

Quel rôle pour Vladimir Poutine après 2024 ?

Si ces mesures diminuent légèrement les pouvoirs du président, elles visent à rééquilibrer les relations entre les pouvoirs exécutifs et législatifs. Surtout, elles consolident le système politique existant avec la division de l’exécutif en deux blocs. Le Premier ministre, politiquement renforcé, dirigera le bloc socio-économique. Le pouvoir régalien restera aux mains du président, qui demeurera le chef de l’État et des armées, assisté par le Conseil de sécurité. Ces réformes constitutionnelles visent surtout à sanctuariser l’avenir du putinisme sans son leader. Le renforcement du pouvoir de la Douma vise notamment à prévenir et réguler d’éventuels conflits entre l’exécutif et le législatif.

Une question reste cependant au cœur de toutes les spéculations : quel rôle aura Vladimir Poutine après 2024 ? Dans l’histoire de la Russie, le transfert de pouvoir représente une période dangereuse. La sanglante lutte de pouvoir qui a suivi la mort de Staline n’est qu’un exemple. La révision constitutionnelle est aussi, pour Poutine, une manière d’assurer sa propre sécurité. Et la conservation de son pouvoir ? Il est en effet peu crédible d’imaginer que Poutine puisse renoncer à toute influence dans une Russie qui n’a connu que lui depuis vingt ans. Vladimir Poutine a balayé l’idée de devenir, comme en 2008, le chef du gouvernement en 2024. Il a assuré qu’il ne cherchait pas à “prolonger son pouvoir” et qu’une “dyarchie” comme en 2008 était exclue.

Le Conseil d’État, nouvelle institution forte ?

Un volet de la réforme constitutionnelle suggère cependant que Poutine n’a pas l’intention de céder le pouvoir après 2024. En 2000, le président russe avait rétabli le Conseil d’État en tant qu’organe consultatif présidentiel, où siègent les chefs des régions et certains responsables. Il supervisait principalement les réformes socio-économiques et le développement des institutions gouvernementales. Le président russe a proposé de renforcer les prérogatives du Conseil d’État, dont les contours sont encore flous. Institutionnalisé, celui-ci pourrait devenir une sorte de “politburo” conseillant à la fois le Président et le Parlement russe. Cette institution pourrait alors offrir une influence politique puissante à Poutine en tant qu’ancien président.

Par ces réformes constitutionnelles, Vladimir Poutine cherche donc à préparer l’après-2024. Il veut surtout pérenniser le système politique qu’il a mis en place depuis 20 ans. Le Président russe souhaite trouver un successeur capable de protéger ses intérêts. Son rôle personnel n’est toutefois pas clair. Il semblerait que le Président russe cherche à créer une structure de gestion des affaires de la Russie où il pourrait influencer le pouvoir de manière indirecte.

La Douma a d’ores et déjà approuvé à l’unanimité ces mesures qui réorganisent en profondeur le fonctionnement de l’État russe. La deuxième lecture, considérée comme essentielle en Russie pour les projets de loi, est attendue cette semaine. Le projet de réforme devra ensuite passer devant la chambre haute du Parlement. Les Parlements régionaux puis le Président le valideront. La réforme constitutionnelle étoffée et précisée sera enfin soumise au peuple pour une consultation populaire.

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Solène VIZIER

Solène Vizier est diplômée d’un Master 2 Etudes Stratégiques. Passionnée de géopolitique, ses domaines de spécialisation concernent les mondes hispanophone et russophone, le désarmement nucléaire et la géopolitique du sport. Elle est rédactrice aux Yeux du Monde depuis avril 2019.

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